* Dix-sept ans * Eric FOTTORINO

* Dix-sept ans * Eric FOTTORINO

Quand un fils ouvre les yeux sur sa mère : une magnifique histoire autobiographique de re-naissance

🍒🍒🍒🍒

*****

Ancien directeur du journal le Monde, Eric Fottorino nous embarque avec lui dans un voyage spatio-temporel interpelant via ce livre publié en 2018 chez Gallimard. Sa plume nous frôle avec une sensibilité à fleur de peau et nous égratigne avec une franchise écorchée dans l’âme. A la recherche de celle qu’il ne semble pas connaître au point de l’appeler par son prénom, Lina, et dont il écrit « Pour t’appeler maman, il m’aurait fallu être sûr que tu étais ma mère » (p.24).

Cet imparfait laisse toutefois entrevoir un présent différent et c’est bien là toute la beauté de ce livre qui nous plonge dans cette eau froide de l’enfance où le lien maternel semblait si absent aux yeux de celui qui se sentait abandonné malgré cette fratrie, ces pères qui ont essayé, et surtout cette mère qui cachait un secret.

Un déjeuner de famille en compagnie de ses trois enfants et cette maman de soixante-quinze ans leur révèlera le pourquoi de son regard qui s’est éteint un 10 janvier 1963 et a depuis vécu avec ce voile terne la protégeant de la société, de ceux qui l’avaient malmenée, à commencer par sa propre mère.

Un enfant qui devient parent traverse sans doute le miroir en portant un autre regard sur ses évidences autocentrées qui l’ont construit mais qui s’effritent au contact de sa propre vie de parent. Car avant d’être une mère ou un père, nous sommes des femmes ou des hommes. Avec un vécu, des souffrances, des jardins secrets. Nos enfants n’ont pas à porter ces valises et à s’en rendre responsables. Mais pourtant, il est de ces générations ou de ces éducations qui ne laissent que peu de place à la communication, la verbalisation, la transparence, les confidences pour alléger l’histoire familiale de ses fantasmes ou de ses réalités. C’était comme ça, c’est sans jugement. La question du déterminisme familial est d’ailleurs largement posée dans la mesure où l’abandonnisme et la honte sociale ont largement été transmis de génération en génération. La relation mère-fils accentue sans doute encore cette blessure et le thème de la place dans une famille où le père, même très intégrant, n’est pas le même que celui du reste de la fratrie, donne une nuance sombre supplémentaire. Sur un fond socio-religieux où l’antisémitisme croise les représentations et les oppositions ecclésiastiques qui plus est.

Pourtant, malgré ce décor qui peut sembler sombre et heurtant, et grâce à cette plume d’une fulgurance inouïe dans l’art de la métaphore et de la personnification, le style de l’auteur donne effectivement une figure criante de vérité, franche, sincère, sensible, effrontée parfois, mais toujours juste et volontaire à la compréhension du passé, celle qui permet enfin de s’apaiser. Les jeux sont faits, la respiration passe de l’apnée parfois à l’hyperventilation, on reprend notre souffle avec lui, le cœur battant, on recouvre la vue progressivement, la colère s’apaise et se mue en admiration… et l’on peut retrouver dans les traits de cette Lina tant de femmes croisées dans nos vies que désormais je regarde en me demandant : et toi, qui a voilé l’éclat de tes yeux ? Mais la reconstruction est là aussi et c’est à ce prix que la re-naissance prend parfois tout son sens, et qu’elle peut aussi se faire à deux.

Et vous, l’avez-vous lu ? Avez-vous apprécié un autre livre de cet auteur ? Hâte de vous lire…

******

Citation p.51, éditions Folio :

« Lina abandonnée par sa mère. Lina forcée d’abandonner son enfant. Être abandonné, avoir abandonné, qui peut dire ce qui fait le plus mal ? »

* La commode aux tiroirs de couleurs * Olivia RUIZ

* La commode aux tiroirs de couleurs * Olivia RUIZ

Quand le passé raconte le présent d’une magnifique réunion de famille, les mots se vivent avec l’intensité d’un flamenco : ils tapent du pied et donnent le frisson au plus profond de soi-même

🍒🍒🍒🍒🍒 

Ces petites boîtes à qui l’on confie des bouts de vie, vous connaissez ? Celles que l’on remplit de « je garde ce caillou, ce ruban, ce bout de papier froissé, en souvenir, on ne sait jamais » ? Mais l’Abuela savait, elle..

Ici ce sera des tiroirs qu’on ouvre et dont on découvre le contenu avec la narratrice qui est aussi l’autrice suite au décès de cette chère grand-mère. Récit de vie, fiction, peut-être un peu des deux quand la seconde vient au secours des silences, des non-dits, voire des mensonges du premier..

Et qu’elle est haute en couleurs cette histoire de vie que l’on déroule comme une pelote rouge et or à la lumière de la grande Histoire : celle de l’Espagne blessée par le franquisme, de l’exil de ses populations dans des conditions inhumaines, de la douleur de ses combattants vaincus et de leurs enfants qu’il faudra pourtant protéger. Lorsqu’on passe la frontière, tous deviennent immigrés, et avec ce statut, son lot d’exclusions et de bassesses quand le pain manque et que l’étranger devient une menace qui obligerait à le partager. Tous souffrent et parfois la douleur reste au-dedans, au chaud avec les mots.

Cette chère Abuela, pleine d’amour autant que de lucidité, faisait donc partie de ces taiseuses du passé. Peut-être que ça lui permettait de continuer à avancer le menton levé dans son présent. Comme Leonor, Carmen, Madrina, Pepita, André et tant d’autres.

Mais la conscience de la transmission familiale était pourtant bien là : la commode aux tiroirs de couleurs parlera donc pour elle quand elle ne sera plus. Tout un symbole.

Une enveloppe, des objets et le temps vient pour la narratrice de savoir enfin, de comprendre, de vivre les événements d’une famille chahutée, éclairée par une autre lumière devenue étoile filante.

Tant de sensibilité dans cette écriture à la fois attendrie et impliquée que lucide et reconnaissante. Envers ces femmes car il s’agit beaucoup d’elles, ces quatre générations qui s’épaulent et se protègent sans toujours trouver les mots ni les gestes auxquels on pourrait s’attendre. Des figures de courage, de combativité, de puissance, de beauté. Dans la maternité ou l’amitié, la fraternité ou la citoyenneté. Qu’elles sont fortes de leurs fragilités ces mères, sœurs, amies, voisines. Les hommes sont là oui, avec leur blessures et leurs combats, leur fougue ou leur pudeur, leurs silences. Et tous ensemble, ils se croisent et se décroisent, font comme ils peuvent, comme ils doivent aussi.

Ce livre exhale une admiration, une gratitude, un amour sincère, entier, conscient, comme on aime une personne avec ses qualités mais surtout pour ses défauts. Car ce sont eux qui font la singularité d’une relation et quand on finit dans ce café à Marseillette non loin de chez moi, c’est un singulier pluriel de belles âmes qui se retrouvent ensemble pour ne pas se perdre séparément.

Un magnifique hommage donc à la famille, aux femmes, à l’Espagne.. à la vida.

Merci Olivia, vous avez fait battre mon coeur aussi intensément que ces talons qui frappent le parquet d’une vie au son du flamenco. Avec lui, on finit toujours par relever la tête même si parfois le regard était baissé sur ces pages blanches et ces parenthèses non fermées. « Ay, Dios », gracias de corazón..

******

Citation p.56-57, éditions JCLattès :

« Les lois intra-muros ne sont pas les lois de la rue, ni des lois universelles, ce n’est pas ça la liberté. La liberté, c’est être soi-même dedans et dehors. »

******