Quand la violence paternelle vient gifler le lecteur : une claque absolue
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Entre la couverture qui affiche cet oeil scrutateur depuis ce qui ressemble à une maison en forme de piège, et la quatrième de couverture qui fait référence à cette fameuse « pièce des cadavres », j’ai dû actionner toutes mes antennes de curiosité pour dépasser ces indices qui ne me portaient pas naturellement sur la voie d’une lecture disons… évidente.
Et pourtant quel grand moment de lecture ce roman !
Cette jeune romancière dramaturge et actrice belge a reçu une multitude de prix pour ce premier roman dont le Grand Prix des lectrices Elle 2019, le Prix du roman Fnac 2018 et le Prix Renaudot des lycées 2018. Et ce n’est pas volé ! Ses influences en termes de dramaturgie et de jeu d’actrice ont nécessairement constitué un terreau solide à ce roman qui a infusé entre noirceur, violence, génie de l’enfance et sens de l’analyse psychologique pour ses personnages.
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Cette jeune narratrice âgée de 10 ans seulement au début du roman et dont on ne connaitra jamais le prénom est en proie, au sens propre comme au figuré, à une violence paternelle qui s’exprime tant sur sa mère que sur son petit frère Gilles de quatre ans son cadet et fatalement sur elle. Mais jusqu’où les emportera-t-elle ?
Cette pièce des cadavres qui fait partie de leur maison familiale terrée dans un lotissement pavillonnaire gris datant des années 60 et baptisé « le Démo » voire « le Démoche » par son père (p.15), fait partie de ces interdits que l’on franchit vite en étant enfant. Mais il de ces découvertes qui glacent le sang : elle renferme tous les trophées de chasse de ce père prédateur dans l’âme à commencer par cette hyène qui, semble-t-il, dispose d’une influence bien plus grande que celle que l’on prêterait à cette figure empaillée.
Suite à un évènement accidentel sur fond de « La Valse des Fleurs » de Tchaïkovski, dont elle se sentira responsable et dont les conséquences sur son petit frère commenceront par lui ôter le sourire avant de lui prendre progressivement des bouts d’humanité, elle pensera trouver son salut dans l’apprentissage effréné de la connaissance scientifique avec ses complices Monica et Monsieur Pavlović à la recherche des secrets de la temporalité et de la physique quantique. « Retour vers le futur » n’a qu’à bien se tenir ! Et Marie Curie n’est jamais bien loin avec la petite chienne Dovka qui accompagne la narratrice partout, en révérence au véritable nom de cette première, Maria Salomea Sklodowska. Y compris lorsqu’elle découvre les premiers émois de l’amour interdit lui aussi au milieu de ce marasme, comme un rayon de lumière fugace qui percerait le plafond orageux pesant sur leurs têtes.
Enfin, la place de cette mère qu’elle compare à une amibe tant son âme entière a été dévorée par ce père tyrannique, effrayant et imprévisible, sera aussi déterminante dans le déroulement de ce parcours familial qui les amènera chacun à leur façon, à repousser leurs limites et à se confronter à leur côté obscur tout en luttant avec la dévoration de celui que le père leur imposera avec son goût certain pour l’anéantissement. Peut-être a-t-il été anéanti lui-même des années auparavant ?
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Quelle lecture étonnante et percutante que ce court roman (212 pages), il exulte d’une intensité rare. Truffée de figures de style et notamment de personnifications de la violence et de la prédation à travers le portrait de ces animaux morts physiquement mais symboles de la cruauté paternelle, cette écriture nous embarque avec elle dans ce paradoxe du repoussoir et de l’envie d’en savoir plus, de comprendre, d’accompagner la narratrice et son frère jusqu’au bout sans savoir bien lequel. Cet amour inconditionnel et protecteur de la grande soeur vu à travers le prisme de l’action, de la rationalisation en guise de mécanisme de défense via l’accès éperdu à la connaissance scientifique est d’une poésie pragmatique qui ne laisse pas indemne.
Une claque donc et non attendue par cette lecture qui me donne envie de tendre l’autre joue. Hâte de suivre l’évolution de cette autrice !
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Je sais que vous êtes nombreux/ses à l’avoir lu… Est-ce que vous partagez mon avis ou êtes plus mitigés ? Echangeons, j’adore ça ! 😉
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