⭐︎ Photographie dansée ⭐︎ Récit de nuit ⭐︎ Écriture libre

⭐︎ Photographie dansée ⭐︎ Récit de nuit ⭐︎ Écriture libre

Photographie dansée ⭐︎ Récit libre

J’aime regarder les dessins des branches d’arbre au sol les nuits de lune blanche.

Le sombre s’affirme clair, la nuit s’illumine, et enfin elles redescendent au sol pour faire corps avec la terre.

Plus de volume. Plus de poids. Plus de gravité. La légèreté s’inscrit en deux dimensions.

Des traits, des courbes, des arabesques. Le ciel danse sous mes pas.

Immobile. La vie végétale en négatif. L’arbre devient argentique en une danse statique.

Et je vais sauter dans les espaces, vides de lumière et pleins de ma présence. La nostalgie d’une marelle. L’enfance enfouie ressurgit. Je ne marche pas sur les traits.

Je respecte cette vie qui se révèle à moi autrement. Ce n’est plus moi qui suis responsable d’en tracer les contours. Je les suis et les évite. Ne plus réfléchir et se laisser porter. Accueillir et observer.

C’est sans doute cela, retrouver son espace de liberté.

Et c’est le ciel qui l’a dessiné.

⭐︎ Il était une deuxième fois ⭐︎ Nouvelle ⭐︎ Concours d’écriture

⭐︎ Il était une deuxième fois ⭐︎ Nouvelle ⭐︎ Concours d’écriture

Concours Librinova – Magazine Lire ⭐︎ Mai-juin 2020 ⭐︎ Parrainé par Philippe DELERM

⭐︎  Sujet :  Numéro inconnu

⭐︎ Contraintes : entre 16 000 et 20 000 caractères espaces compris

⎻ Maman !

⎻ …

⎻ Maman !!

⎻ Oui ?

⎻ Ton téléphone sonne !

⎻ Qui est ce ?

⎻ Je ne sais pas ! Y a qu’un numéro super long à la place du nom !

⎻ Ne réponds pas ! J’arrive !

Elle accourut, blême, le pas lourd et pressé de celle qui a laissé une casserole de lait sur le feu. Elle n’a pas dû avoir si peur que ça que la casserole déborde pourtant. Elle l’a laissé sonner. Puis se taire. Elle ne répondra pas encore cette fois. En tout cas pas devant moi.

Toujours la même scène. Jamais le même numéro. Un regard par en-dessous, un silence par-dessus. Toujours le même geste. Elle prend le téléphone, le met à l’écart dans le panier en osier déformé de la petite table d’entrée, retourné sur lui-même. Tourne les talons à son tour. Et puis s’en va, comme dans la comptine.

Mais bon, j’ai plus l’âge des comptines. Ni des questions apparemment. Non. Treize ans, c’est l’âge du dictionnaire ! « Au-to-no-mie ! » comme dit Maman.

J’en ai trouvé un en fouillant sur les rayons de la bibliothèque du salon. Je ne cherchais rien de précis, j’explorais en fermant les yeux et laissant trainer mon doigt au hasard. Le contact des couvertures, des creux entre deux, des reliefs, des grains de poussières, du carton qui glisse, du papier usé qui accroche. Je sentais même l’odeur de vieux biscuit parfois, quand mon nez se rapprochait de mon doigt. Celle-là c’est ma préférée.

Et puis, mon doigt a fait un long, très long chemin avant d’arriver au livre d’après. « Long comme un jour sans pain » aurait dit Mamie. Ça doit être pour ça qu’il y a des tranches sur les livres. On les dévore comme du bon pain chaud qui sort du four du boulanger. Ce sera donc celui-là aujourd’hui. J’ai dû me reculer un peu, mes yeux se sont ouverts sans pouvoir tout voir d’un coup. Comment était-ce possible ? Il portait le prénom d’un petit monsieur. Il y avait donc tant de choses à raconter sur sa vie ? Qui était-ce ? Est-ce qu’il aurait été aussi volumineux s’il s’était appelé le Grand Raymond ou le Moyen Gérard ? En l’ouvrant, j’ai compris. Ce petit monsieur connaissait tous les mots de la langue française. Et ils pouvaient tous rentrer dans un seul livre. Il n’était pas que gros, il était lourd aussi. Je l’ai su quand je l’ai lâché sur mon pied droit la première fois que je l’ai porté. C’est lourd la connaissance ! Et personne ne m’avait dit que ça existait. Papa, quand il cherche un mot, il regarde son téléphone. Et c’est tout fin un téléphone.

Aujourd’hui, pour moi, il est presque devenu comme les magazines de décoration qui trainent sur la table de chevet du côté du lit de Maman. Chaque mot est un meuble. Ancien, imposant, repeint, poncé ou léger comme du mélaminé, ça dépend des conversations. Oui parce chaque fois que j’apprends un mot désormais, il me permet de meubler les silences laissés ces jours-là. Ces jours de téléphone retourné, de numéro qui va déborder, d’explications envolées.

Ça arrivait deux fois par an. J’ai compté. Maman changeait de visage. De couleur. De forme. Elle devenait fantôme.

Le jour J, c’était un fantôme en forme de cris. Qui avait laissé trainer ça là ? Qui avait rangé ça là-bas ? Les reproches vous recouvraient comme des draps blancs, impossible d’en sortir, même à l’aide de mes mots-meubles qui restaient coincés dedans. C’était des jours pendant lesquels on voyageait dans un autre espace-temps.

Surtout ma sœur. En fait c’était elle qui disparaissait. Toute une journée. Un dimanche en général. Papa partait avec elle en voiture et revenait seul. Puis il se mettait à faire des choses étranges. Il chargeait le coffre de bagages. Je montais ensuite avec lui pour aller faire le plein d’essence. Et puis il laissait la voiture devant le portail. Alors qu’il la rentrait toujours d’habitude. Trop peur qu’un passant la raye de son regard soi-disant. Tu parles d’un voyage !

Ensuite la journée s’écoulait, s’étirait, n’en finissait plus. Je m’ennuyais sans ma sœur. Et me demander où elle était ralentissait les aiguilles de l’horloge du salon plus encore. Sauf que quand je demandais où elle était passée, c’était toujours une réponse façon résumé.

⎻ Chez une copine.

Je les connaissais toutes ses copines. Et leur maison, leur chien, leurs parents, là où elles habitaient. Mais je devais me contenter de deviner laquelle.

Le plus étrange, c’est que nos parents ne s’occupaient pas de la même façon. Fini le téléphone dans le panier en osier de la table d’entrée. Maman le gardait dans sa main toute la journée. Et le pire, c’est qu’elle appelait ma sœur toutes les deux heures. Pas une minute de plus, pas une minute de moins entre deux appels. Elle ne devait même pas pouvoir jouer tranquille la pauvre !

Moi, je n’avais pas le droit de lui parler. Alors j’écoutais. Cachée dans un coin. J’aime bien les coins. Dans les coins, y a des angles, et selon lequel on choisit on peut changer de vue.

Voir c’est bien mais comprendre c’est mieux. Et moi je ne comprenais pas. Pourquoi elle lui demandait toutes les deux heures « tout va bien, vous êtes toujours à la maison ? ». Elle ne pouvait donc pas sortir non plus ? Que ça ne devait pas être drôle de passer un dimanche chez une copine de ma sœur ! Les miennes étaient beaucoup plus drôles ! Au moins on allait faire du vélo dans les vignes ! On piquait même des pêches au château du bout de la rue mais ça c’était secret. Moi aussi j’avais des secrets. Mais personne ne m’appelait toutes les deux heures pour les révéler.

Et puis vers dix-sept heures, le temps s’arrêtait. C’était Maman qui repartait la chercher. Je le sais parce que c’était après le goûter. Elle filait en oubliant de m’embrasser. A partir de là, on guettait. Le bruit du moteur. Le bruit du portail. Le bruit des graviers. Et enfin, celui de la porte qui claquait.

A son retour, ma sœur fonçait dans sa chambre. Ni bonjour, ni « comment ça va », ni « qu’est-ce que t’as fait aujourd’hui », ni « moi j’ai fait ça ».

Elle n’en ressortait que pour le dîner. Tout ça pour ça ! Ah non. Et chaque fois j’essayais. J’allais gratter à sa porte, je lui glissais des dessins dessous, des mots aussi, des vrais, pas des meubles. De toute façon, ça ne passe pas sous une porte, un meuble. Mais rien. Aucune réaction. Aucun bruit. D’habitude elle m’aurait au moins retourné un message écrit avec ses feutres à paillettes que je n’ai pas le droit de toucher ! Juste pour me faire rager. Elle le faisait exprès. Mais les jours de voyage ailleurs, elle n’avait même pas envie de m’embêter.

Au dîner, personne ne parlait. D’habitude Maman demande toujours ce qu’on avait fait dans la journée. Mais là, c’était la télévision qui faisait la conversation de fond. Tu parles. C’est vite dit. Moi je sais bien que parler, ce n’est pas faire du bruit. Et il est de ces silences qui étouffent le son mieux que des boîtes d’œufs collées au mur. Ce soir-là, j’ai quand même tenté. J’ai parlé de ma dernière trouvaille chez le petit monsieur. Un mot tout jovial, quelque part entre joyeux et barboter. Est-ce que ça flotte la joie ? Ce mot c’était « Jubjoter ». Verbe qui signifie émerger d’un rêve sans en connaître la fin et tenter d’y retourner pour connaître la suite. Bon, apparemment on était plutôt en mode cauchemar. Personne ne voulait retourner nulle part. Et pour seule réponse, Maman s’est écriée :

⎻ Allez, les dents et au lit !

Cette injonction relevait presque de la sorcellerie pour moi ces soirs-là. Ou non. Plutôt de la magie. Aussitôt dit, aussitôt envolé. Le petit côté Mary Poppins de ma mère sans doute. « Alélédanhéoli ». Incantation au dieu de la petite souris. Et pouf ! L’espace-temps s’aligne à nouveau sur la vie d’avant. Et la vie d’après reprend son cours doucement. Calmement. Comme si de rien n’était. Enfin de rien… Elle est étrange d’ailleurs cette expression. Ce n’est quand même pas rien justement. Même si on ne sait pas ce que c’était.

Sauf que. Cette fois-ci, je saurai. J’en ai trop marre des fantômes, notre maison n’est pas un château hanté !

Il s’agissait maintenant d’élucider une énigme en forme de numéro. Plus fort encore, il fallait trouver un texte dans des chiffres. Ça plairait à mon prof de maths. Ça ressemble à son « x » dans les équations. Sauf que moi, je ne ferai pas une croix dessus. Ou alors si. Mais pour la cocher.

Parfois, je me demande même si Maman n’a pas fait exprès. Elle est partie de la pièce mais m’a laissé avec le téléphone dedans. Peut-être que c’est plus facile de faire deviner que de dire directement ?

Alors, qu’à cela ne tienne, j’ai tourné l’appareil de maman qui me tournait le dos. Ça m’a même fait un peu tourner la tête. J’ai cherché un bout de papier et un stylo. On ne les trouve jamais quand on les cherche ceux-là. Mon cœur battait trop fort, c’est pour ça. Comme si les coups tapaient dans mes oreilles et empêchaient mon cerveau de réfléchir, mes yeux de les voir. Ils étaient dans le tiroir. Tu parles d’un coup de cœur !

Je me sentis entrer dans la peau d’une policière super entraînée. A force de les voir dans les films, je savais quoi faire. Donc je ferai comme eux. Ça démarrait toujours comme ça. Des chiffres griffonnés sur un bout de papier. En recopiant, je remarquai le signe « plus » suivi de plein de chiffres avec des barres. Des sept, des quatre, des un. Tous mélangés. Pas de rondeur. Pas de douceur. Je préférais les figures des hiéroglyphes égyptiens. C’est plus joli et c’est plus facile pour trouver un profil.

Heureusement, il n’y avait pas que le petit monsieur pour faire des recherches. J’avais vu Papa faire sur la « grande toile » comme il l’appelle. Il n’aime pas désigner les choses par leur nom. Mais plutôt par leur utilité. A cause de cela, je me suis longtemps demandé si c’était une grande araignée qui attendait derrière l’écran et qui nous envoyait les résultats de ses recherches en allant pêcher toutes les informations qu’elle avait interceptées dans ses filets. Avec toutes les pattes qu’elle avait, c’était possible.

Dans tous les cas, il fallait taper « numéro inversé » sur la loupe et lui envoyer. On aurait dû l’appeler numéro renversé oui plutôt ! On avait la tête en bas et des bouts de vie à l’envers. Comme quand je regarde le ciel en me penchant en avant et en passant la tête entre mes deux chevilles. Ceci dit, il y a des limites à tout, à la souplesse aussi. Et là, je voulais surtout vivre à l’endroit.

La Goliath de mon ordinateur n’a pas tardé. Bonne pêche encore une fois. Bien joué ! Mais là aussi j’ai dû me reculer pour être sûre que mes yeux voient correctement toute l’information qui s’affichait. Eh oui, seul le numéro était inconnu. Mais le nom inscrit en face ne l’était pas. Mon prof de maths serait fier demoi. Première équation à une inconnue résolue. Pour mon âge, c’était pas mal du tout ! Faudra que je le dise à ma sœur.

D’ailleurs, ce nom, c’était le sien. On n’avait pas le même toutes les deux. Nos parents nous ont toujours expliqué que chacune de nous avait pris le nom de l’un ou de l’autre. Au choix. Enfin leur choix. Le mariage, ce n’était pas leur truc. Donc pas de jalouse. Chacune le sien. Tu crois qu’ils avaient tiré au sort à la naissance de la première ? En tout cas, l’idée c’était de tout partager. Mais juste entre nous. Puisque c’est un nom de famille. Comme un gâteau. Maman m’avait offert de sa tarte tatin et Papa t’avait donné de son moelleux au chocolat.

Mais s’ils avaient bien tout partagé entre nous, pourquoi une autre personne aurait-elle pris du gâteau de Maman sans que je le sache ? Y a qu’un gâteau dans un nom ? Ou plutôt y a qu’un nom pour un gâteau comme celui-là ? Mon petit monde en forme de cuisine bien rangée vacillait. Moi j’aimais les recettes toutes faites. J’avais comme l’impression qu’il me manquait des ingrédients.

Son prénom finissait par la lettre O. Comme mon copain Gino au collège ou ce fameux Alberto qui terrorisait tous nos retours à la maison en bus avec cette manie de taper les plus petits derrière la tête à chacun de ses passages dans l’allée. Il aurait dû s’appeler Calboto tiens.

En cherchant sa photo dans la galerie d’images associées à son identité, ça n’avait rien d’un tableau de musée. Il semblait vieux et fatigué. Dans les textes qui l’accompagnaient, tout était dans un genre d’espagnol que je ne comprenais pas. C’est sans doute normal, je n’ai commencé ma deuxième langue qu’en cinquième. Et surtout je me demandais : ça se cache un grand-père ? Pourtant j’avais bien recompté et on les avait tous. En plus, ils n’étaient pas joueurs. L’enquête piétinait.

J’ai grandi en entendant parler à la fois du devoir de vérité et du droit au jardin secret. A ce stade, mon cœur balançait. Est-ce que je serai plus écolière ou jardinière aujourd’hui ?

Le moment du déjeuner arrivait. Et je n’avais pas la patience d’attendre que grandissent les plants du potager. Je n’aime pas les courgettes de toute façon. Alors, après ma première bouchée, j’ai touché mon petit creux au-dessus de la bouche. Il était là, il était temps. Et je décidai de prononcer son prénom et son nom. Oui parce que j’avais appris que s’il y avait le préfixe « pré-», ce mot se disait avant le second. Comme ça, sans introduction. Sans mot autour. Le regard haut et le menton levé. J’attendais.

Choc de fourchettes sur la céramique des assiettes. Verre plein posé sans ménagement sur le bois de la table qui n’avait rien demandé, lui. Leurs yeux écarquillés à la recherche des autres puis des miens. Je voyais défiler tant de points d’interrogation dans le reflet de leur iris noir de défi. Je souriais. J’avais eu raison. Faire ses devoirs, ça a parfois du bon.

⎻ Comment sais-tu ?

Maman peinait à s’exprimer à haute voix. Une histoire de chat coincé il paraît. Je n’ai jamais bien compris, nous avions deux chiens.

⎻ Comment je ne sais pas surtout ?

Je lui répondis sans animosité. Les yeux en forme de cœur et le cœur prêt à écouter. C’est important d’écouter avec les yeux.

Décidément, les moments de repas chez nous, ce n’est pas l’idéal pour une bonne digestion. Tellement de choses restent coincées dedans. Mais je savais bien comment y remédier. J’avais grandi avec un outil de la vie comme disait Mamie. C’est elle qui me l’avait transmis. J’avais cinq ans. Et puis après, elle est partie. Envolée.

⎻ Le secret pour se sentir plus légère, c’est de ne pas avoir de secret. Et la seule façon d’y arriver, c’est de les faire s’envoler avec des mots. Les mots parlés, les mots écrits, les mots chuchotés, les mots chantés et même les mots interdits. Parce que les mots, ils ont des ailes qui nous portent quand les nôtres sont fatiguées.

⎻ Mais je n’ai pas d’ailes Mamie ?

⎻ Si ! Un ange a posé le doigt sur ta bouche à ta naissance et tu en es devenue un à ton tour. Regarde toujours bien ce creux au-dessus de ta lèvre supérieure, il te le rappellera quand le doute trahira ta mémoire.

Elle avait raison. Ce jour-là, j’ai finalement appris qu’on pouvait avoir deux papas. Un père de vie et un père de cœur. C’est comme ça qu’elle dit ma sœur. Et c’est comme ça qu’elle me l’a expliqué. Et notre père, c’est son père de cœur. Alors parfois on doit faire un choix ? On peut vivre sans cœur ? Et un cœur ça peut battre sans vie ? Trop d’antinomies. Pourtant, apparemment, pour le premier c’est oui. Il était parti, et Maman avait gardé son nom. Comme quoi, dans la recette de la vie, il y a plus d’ingrédients cachés que l’on ne croit.

Elle a continué avec une histoire de sang différent qui coule dans nos veines, une histoire de vraie vie qui se vit avec le cœur. Il y aurait donc des fausses vies ?

Je n’ai pas tout compris tout de suite à cette histoire de sang. Est-ce que c’est comme dans les films, quand on cache les vêtements tachés ? Mais il a tué qui alors ? Ton enfance ? Elle a pleuré. Pourtant je ne l’avait pas grondée. 

Elle m’avait parlé de garder ce secret pour être sûre qu’il ne l’enlève au Portugal. Ils se voyaient deux fois par an dans un village à côté de chez nous mais si je parlais, on ne se verrait plus jamais. Ce n’était pas un colis ma sœur pourtant ? C’est donc pour ça que Papa se préparait à chaque fois qu’il l’emmenait le voir, au cas où il y aurait une livraison inattendue ? Course-poursuite, le film continue.

Et elle avait rajouté que c’était secret, aussi, parce qu’il ne savait pas que j’existais. Finalement c’était moi le fantôme. Et c’est Maman qui devenait blanche comme un linge. Entre atelier cuisine et atelier lessive, nous étions très occupés décidément !

Elle m’avait surtout parlé des autres adultes et de tous ces gens qui ne devaient pas savoir. Parce qu’ils diraient qu’on n’était plus sœurs. Ou qu’à moitié. Ça se coupe en deux une sœur ? Ce n’est pas un gâteau pourtant. Enfin, pas tant qu’elle ne sera pas maman !

Non. Moi j’avais décidé. Je suis un ange et je lève les secrets. Tout cela leur avait arraché les plumes. Or, il était grand temps de se remettre à voler. Et puis « la bave du crapaud n’atteint pas la blanche colombe ». Une histoire de sagesse populaire. Pour une fois que je suis sage !

Alors, même si on a du sang en commun à moitié, ma sœur ne sera jamais une moitié de sœur. Parce que je l’aime avec le cœur. Tout Entier. On nous l’a bien expliqué en cours de S.V.T. Le cœur a besoin de ses deux oreillettes et de ses deux ventricules. Ils marchent ensemble et se répondent. D’ailleurs je me suis toujours demandé si ça voulait dire que le cœur avait une sorte d’oreilles et de ventre, au passage. Ceci dit, oui, sans doute, il écoute quand je pleure et parfois il gargouille quand j’ai peur.

Et au pire, on a de la chance. Tu sais pourquoi ? On a quelque chose que les autres n’ont pas. Parce que pour l’autre moitié, on leur expliquera que ça nous fait plus de place pour l’oxygène ! Comme dans ce dessin animé avec les petits personnages blancs qui courent dans nos veines, en portant des poches remplies de bulles d’air, tu te souviens ? Comment il s’appelait déjà ?

⎻ « Il était une fois la vie » ! se rappela ma sœur, les larmes aux yeux.

C’est vrai que nous, on ne sait pas aussi bien dessiner. Mais on peut dire qu’à la maison, c’est encore plus animé ! Alors on n’a qu’à l’écrire. Avec tes feutres à paillettes. On mettra un gros titre avec plein de couleurs. Et on l’appellera : « Il était une deuxième fois ». Après tout, c’est comme dans nos spectacles de théâtre : il y a la répétition générale. Mais ce qui compte, c’est la vérité du jour présent.

Depuis cette date, toute la famille s’est mise à respirer. Les fantômes ont déserté. Et ce numéro, il ne nous a plus jamais mis en apnée. Avec des ailes on voit tout de plus haut. Merci les mots. Vous êtes ma cerise sur le gâteau.