* Ce que nous sommes * Caroline BONGRAND

* Ce que nous sommes * Caroline BONGRAND

Écrire le vide pour le remplir. Et l’accueillir. Un roman inspirant et lumineux.

🍒🍒🍒🍒🍒 

Il n’y a pas d’évidence. Aucune. Jamais. A commencer par celle selon laquelle nous disposerions tous de racines bien ancrées, de mémoires familiales bien établies, d’un héritage humain bien défini. 

Il est en effet de ces arbres généalogiques qui comportent une multitude de branches vides, ou bien à moitié en pousse, à moins qu’elles ne soient totalement absentes ? Et pourtant le besoin de les voir se dévoiler grandit intérieurement et un jour explose. Au point de ne plus pouvoir repousser ce moment de coucher son histoire sur le papier. Parce que la nature n’aime pas le vide et que c’est une façon de le remplir.

L’auteure, Caroline LEGRAND, qui est aussi la narratrice, se jette dans cette issue suite à un évènement bouleversant. Peut-être même plusieurs. Et non sans considération sur le fait qu’écrire sur soi, c’est aussi écrire sur les autres. Pourtant. La pudeur et l’honnêteté de sa démarche savent nous emmener dans cette quête qui peut faire échos à certains pans de nos propres blessures familiales. Tous ces petits mouchoirs transmis entre générations et toutes ces incertitudes dans les détails des récits des Autres.
Cette histoire d’amour, était-ce « un grand ou un petit amour » ? Quelle place occupe le romanesque dans tout cela, le nom de famille, les femmes, la maison, l’amour des autres et finalement l’amour de soi ? Autant d’interrogations qui se dessinent, sans jugement. Traduisant simplement cette envie de trouver sa réponse du moment. Et de découvrir « ce que nous sommes ». A la rencontre entre le verbe être et la notion d’addition. 

L’écriture alterne entre poésie des sentiments et rudesse des violences découvertes, entre passé et présent à la lumière de la grande et de la petite histoire, entre questionnements dévorants et acceptation de réponses incomplètes. Le rythme les suit, tantôt lent et tantôt abrupt. Pas de phrase inutile, chaque mot est pesé, la page parfois presque blanche assumée. La présence de nombreux personnages et le tumulte de leurs vies parallèles peuvent certes nous perdre un temps. Mais le fil est là, nous rattrape et nous guide entre passé et présent.  

Je range donc ce roman parmi les découvertes lumineuses et j’encourage chaque lecteur et lectrice passionné(e) à sa lecture et à son partage. Car au-delà de ce thème relatif aux secrets et vides de famille si chers à de nombreux écrivains, le parti pris de l’auteure de romancer volontairement certaines absences de l’histoire et de l’annoncer en amont, donne aussi une place à part à ce livre dans la catégorie des autobiographies. Au-delà, il est un joli chemin dont on peut s’inspirer pour l’emprunter au quotidien. Pour chacune et chacun de nous. Une autre façon d’aller à la rencontre de soi, de s’apaiser et de transmettre ensuite. Car oui, il est naturellement beaucoup question de transmission, d’accueil et d’imagination. Et la résonance est bien forte à ce jeu-là.

* La Voie de l’Archer * Paulo COELHO

* La Voie de l’Archer * Paulo COELHO

La vie en métaphore. Le chemin en pratique.

Un conte poétique à lire et à relire à chaque étape de la sienne.

🍒🍒🍒🍒

Paulo COELHO s’inscrit dans l’univers du conte philosophique depuis ses débuts avec cette plume de romancier qui lui a permis tantôt de s’approcher plutôt du premier (je pense à l’Alchimiste naturellement mais pas uniquement) ou tantôt plutôt du second (je pense à Adultère pour ne citer que lui). Ou de les réunir. Et ainsi de dépasser toutes les frontières, frontières de langues, frontière de style pour ses lecteurs, frontières de cultures. Avec « la Voie de l’Archer », il nous surprend encore.

Le format retient d’abord l’attention. Un peu plus grand qu’un Poche, l’édition a retenu une impression sur un papier épais, une couverture glacée et vernissée. Illustrée comme toutes les planches figurant jusqu’au cœur de chaque chapitre, grâce au coup de pinceau (et de plume !) de Christoph NIEMANN, illustrateur et écrivain allemand. Ce décor imagé contribue largement à nous immerger un peu plus encore dans ce monde de la simplicité profonde, du geste sensé, du mot placé. Sans simplisme. Quatre couleurs, chacune tenant son rôle. La légèreté et la précision du trait oscillant entre pinceau et plume. Le travail des perspectives mettant en valeur le sujet. Sans trop de présence non plus. Suffisamment pour avoir hâte de découvrir la prochaine illustration au milieu de ce texte succinct, comme méthodique, et pourtant hautement philosophique et poétique.

A en lire le titre des chapitres dans la table des matières et feuilleter le livre dans sa globalité, le texte et sa construction surprennent également. A première vue, l’impression d’accéder à une méthode de pratique du Kyudo, art martial japonais issu du tir à l’arc guerrier, peut déstabiliser. Mais la curiosité a toujours raison. Au-delà du manuel, c’est un guide. Singulier.

Dès les premières pages, les citations élèvent le sujet à un plus haut niveau de spiritualité. La métaphore s’immisce, s’installe puis prend tout l’espace, tout l’esprit.

A travers les premiers échanges entre un étranger venu se prouver à lui-même et au monde entier que, Tetsuya, charpentier du village, et célèbre archer d’antan n’était plus à la hauteur de la légende qui le précédait en étant dépassé par la perfection atteinte par ce premier selon ses dires, nous comprenons que le véritable parcours initiatique sera celui du troisième personnage, observateur jusque-là. Il s’ensuit alors des échanges brillants, courts, suspendus, au sujet de l’humilité, de l’enseignement et de la maîtrise, de la théorie et de la pratique, et finalement de la place dans la vie de… la voie de l’archer.

A travers le déroulé des préalables à la mise en pratique, de ses instruments, de celui qui agit, de ceux qui l’entourent, l’enseignement se tourne rapidement vers un deuxième niveau de lecture et de compréhension. Car en parlant d’arc, d’archer et de cible, on parle de la vie, de ses objectifs et de comment les atteindre à condition d’être clairement posés, ainsi que comment comprendre et vivre les éventuels échecs. Tout en nuances. Sereinement. Patiemment. Avec cette petite voix qui résonne et qui rappelle qu’« un tir correct et juste est bien différent d’un tir que l’on réalise l’âme en paix ».

On va et vient entre nos vies et cette culture japonaise qui, à travers les préceptes enseignés dans le Kyudo, encourage la pensée selon laquelle atteindre sa cible relève de la conséquence directe d’un équilibre abouti entre un corps et un esprit disciplinés et harmonisés. Il est question de soi, mais il est aussi question des autres comme composantes sociales de l’environnement et du contexte de chacun. A l’image de l’importance du comportement social entre archers, les fameux « alliés » pour l’auteur.

Une fois n’est pas coutume, l’auteur nous livre un conte empreint de beaucoup de poésie et surtout d’une proposition de philosophie de vie qui allume ou rallume ces petites sirènes intérieures que l’on a tendance à oublier parfois, souvent, quand le confort et la résistance au changement nous écartent de l’analyse de nos buts, les petits comme les grands, et de nos peurs qui se mettent en chemin sans que nous ayons l’envie, le courage, la patience ou l’honnêteté de les regarder en face. Il appartient à chacun et chacune d’emprunter son propre chemin. Ou de s’accorder le temps. Point de morale ni de jugement, cette œuvre est une ode à la bienveillance envers soi-même mais aussi à l’honnêteté que l’on se doit avant de la devoir aux autres.

Si vous aimez les livres qui restent sur la table de chevet, juste pour ne pas oublier de les relire à la demande du cœur ou de l’esprit, alors empruntez sa voie, elle vous mènera peut-être jusqu’à vous !

* Habiter le monde * Stéphanie BODET

* Habiter le monde * Stéphanie BODET

Écrire le deuil comme on franchit une montagne. Et se reconstruire.

Un roman grandeur nature à escalader avec le cœur.

🍒🍒🍒🍒

Tom l’avait initiée à l’escalade, à la nature, au dépassement de soi. Au point de s’y perdre lui-même, d’y sacrifier tout son temps, tout leur couple. Grimper toujours plus haut, toujours plus loin, toujours plus vite. Elle avait tout quitté pour le rejoindre dans leur mazot des Houches près de Chamonix. Ses études, ses amis, sa vie de parisienne. Et puis le fameux coup de téléphone retentit un jour dans la vie d’Emily. Celui que toute compagne ou tout compagnon d’un ou une passionné(e) de la montagne redoute et auquel on se résigne presque fatalement. Il laisse derrière lui ce vide, ce gouffre. L’absence.

Comment faire pour repartir ? Quelle voie emprunter cette fois-ci et sans lui ? Quel virage prendre quand aller tout droit n’est plus permis ?

Le premier sera celui de sa propre quête, en allant le chercher, lui, sur des terres auparavant foulées ensemble, des parois explorées, des cavités où se retrancher. En allant se réfugier dans sa famille dans le sud de la France, l’air des Calanques le rappelait à elle. Alors elle s’est écoutée. Avec la lenteur et le dégrisement face au risque inutile aussi parfois, la vie reprend ses droits. Au point de sentir cette présence réelle monter en elle. Cette présence en plus. Et la confirmation tombe… Elle porte leur enfant.

Puis le second. Alors qu’elle prend la décision de repartir vivre à Paris et reprendre ses études de lettres tout en regardant grandir leur fille, Lucie, les rencontres se multiplient. Des voisins bienveillants, des amis, des collègues. Une opportunité de travailler en tant que rédactrice pour le blog d’un magazine de décoration tombe. Et Mark s’ensuit. Célèbre architecte d’intérieur qu’elle interrogera lors de son reportage en Australie et qui se questionne lui-même terriblement. Sa place, son travail, son rôle. Comment être au monde pour l’habiter ? A moins que ce ne soit l’inverse ? Ils se retrouvent sur toutes ces orientations à définir, redéfinir, préciser, remettre en question, qu’elles soient environnementales, sociétales, philosophiques. D’abord là-bas puis à travers leurs échanges épistolaires après le retour en France d’Emily.

Stéphanie BODET nous emmène en deuxième partie dans le symbolisme du foyer et de la représentation que l’on peut en avoir, ponctué de ces références poétiques et philosophiques qui s’égrènent à chaque début de chapitre. Baudelaire et son rêvoir, Heidegger et ses liens entre habiter et bâtir. Ils sont tous là, et c’est heureux.

Mais elle nous transmet surtout de façon plus globale, cette fois-ci, après « A la verticale de soi » paru en 2016, son amour de la montagne et de l’alpinisme sous un autre angle. Écrire le deuil comme on franchit une montagne. Faire face au vertige créé par le vide tragique de l’être aimé. Franchir chaque étape de l’absence comme on aborderait une voie, par étape, le sommet en fond, en allant chercher chaque prise dans un équilibre fragile, en pensant retrouver l’être absent dans l’ailleurs du passé… et se retrouver soi, finalement. L’auteure qui pratique cette discipline nous fait cadeau de toute sa symbolique et de sa poésie à travers cette belle métaphore de vie, et c’est réussi. Par respiration progressive et patiente, on accueille chaque mot, chaque émotion, en se les autorisant aussi finalement, comme Emily pour qui le voyage se déplace et de géographique, devient intérieur. Et sans nul doute, on la suit.

Un roman fin et positif, rythmé et sensible. Sans sensiblerie.